Conservatoire National des Arts et Métiers
Centre Régional Associé
d’Aix-en-Provence Cours de Communication B2 |
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Adaptation des manchots à l'Antarctique
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DOSSIER ECRIT présenté par Frédéric DI GALLO |
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16 décembre 2002 |
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"Presque chaque partie d'un être organique est si merveilleusement
adaptée à la complexité de ses conditions de vie qu'il paraît aussi improbable
qu'une telle partie soit soudain apparue dans cet état de perfection qu'une
machine complexe soit portée à son degré de perfection dès son invention par
l'homme."
[Darwin, De l'origine des espèces]
Le concept
d'adaptation est difficile à cerner. Dans le langage courant, on l'emploie au
sens de l'adaptation générale d'un organisme à son environnement. Définition
vague, tout être vivant étant de fait adapté à son milieu. En biologie de
l'évolution, le sens est restreint à une adaptation fonctionnelle précise
résultant de la sélection naturelle et améliorant la survie de l'espèce. Si
cette définition circonscrit le problème, elle ne le résout pas, car il est
difficile de mesurer le gain obtenu par l'individu présentant l'adaptation et
exceptionnel de voir l'évolution en marche: on en est souvent réduit à observer
des caractères adaptatifs et à supposer qu'ils répondent à des caractères
contraignants du milieu. Pour limiter les spéculations, on peut choisir des
situations extrêmes qui amplifient les contraintes environnementales et les
mécanismes adaptatifs.
Sous l'accumulation
des preuves de toute nature, l'idée de l'évolution des espèces est de nos jours
passée du statut de théorie à celui de fait établi dans la communauté
scientifique. Pourtant, malgré le travail de pionnier qu'a réalisé dans ce
domaine Charles Darwin, les adaptations comportementales sont moins faciles à
mettre en évidence, donc parfois moins convaincantes, que les adaptations
morphologiques. Aussi ne faut-il pas s'étonner que la dernière en date des
sciences de l'évolution ait été l'éthologie qui, sous le ferment de la
génétique et de l'écologie, s'est répandue ces dernières années sous le nom
d'écologie comportementale (behavioural ecology).
[Sciences et Avenir Hors-série
n°129 - Janvier 2002 - Pierre
Jouventin].
Comme pour illustrer
la complexité et la logique de cette étude scientifique des comportements des
animaux, ce document présente l'adaptation au continent Antarctique par un
exemple extraordinaire: les manchots. Nous verrons comment ils ont réussi à
concilier les contraintes du milieu et les caractéristiques de leurs genres à
travers des fonctions vitales comme l'alimentation, la communication et surtout
la reproduction.
Un épisode passionnant de l'évolution de la nature!
III. La stratégie adaptative des manchots.................................................
Il est difficile de s'imaginer vivre en Antarctique, cet immense
continent glacé et désertique. Et pourtant, quelques animaux y ont élu
domicile. Parmi eux, les
manchots, figure emblématique du continent blanc, ont sans nul doute la palme
des adaptations les plus surprenantes.
En effet, face aux conditions de vie difficiles car fortement liées au
climat extrême qui règne dans ces territoires, les manchots ont du évoluer pour
assurer leur survie. Mais comment s'adapter aux rudes conditions? Comment des
oiseaux comme les manchots empereurs et Adélie ont-ils pu concilier les
caractéristiques propres à leur espèce et les contraintes du milieu, souvent en
totale contradiction?
A travers la présentation de l'environnement où les manchots évoluent,
et des particularités de leur espèce, nous verrons comment ils ont réussi à
assurer les fonctions vitales de leur survie. Où trouver la nourriture? Comment
couvrir les besoins importants? Comment subvenir aux besoins des poussins? L'alimentation
est bien évidemment le premier maillon essentiel de la chaîne, mais la
communication comporte aussi des points essentiels comme reconnaître
le partenaire et la progéniture ou gérer la vie sociale (les questions de
territoires, de solidarité, voir de concurrence). Mais le point essentiel reste
la reproduction. Ce processus étant le plus délicat à
réaliser, c'est celui qui soulève le plus d'interrogation.
Cet ensemble d'interactions entre ces contraintes, d'origine aussi bien
externes qu'internes, aboutit à une stratégie adaptative du manchot, modifiant
la morphologie, la physiologie et le comportement général de l'animal. Et c'est
cette étonnante faculté qui permet la survie de l'espèce.
Le continent Antarctique est un immense plateau de neige et de glace d'une superficie de 14 millions de km² et d'une altitude moyenne de 2 300 mètres. Peut-on alors parler de vie animale quand on sait que la température peut y atteindre -89,2°C (record mondial enregistré à la base russe Vostok en 1983) et qu'en hiver le vent souffle en moyenne à 80 km/h avec des pointes de 150 km/h (record mondial de 316 km/h à la base Dumont d'Urville en 1972) ?
Et pourtant oui, il y a bien une flore et une
faune en Antarctique! Elle se réfugie là où les conditions sont plus clémentes:
sur les côtes. Là-bas, la température fluctue en hiver entre -20 et -30°C et,
entre -20 et 0°C en été. Effectivement, toute vie en Antarctique est
étroitement liée à la mer. L'océan austral représente 30 millions de km²,
soit 10% de la surface des océans. Il est en grande partie recouvert par la
banquise et les icebergs tout au long de l'année: 24 millions de km² en
septembre (hiver austral) et 18 millions de km² en février (été austral).
Les manchots n'échappent pas à la règle et c'est bien évidemment sur les côtes antarctiques que leurs colonies résident. Nous nous intéresserons donc au climat de cette région frontalière entre le continent recouvert d'une calotte glaciaire (islandis) pouvant atteindre 4000 m d'épaisseur, et l'océan glacial Antarctique ou Austral qui regroupe les eaux très froides du sud des océans Atlantique, Indien et Pacifique circulant autour du continent blanc.
L'océan Antarctique se compose de bassins océaniques d'une profondeur de l'ordre de 5 000 m et pendant l'hiver austral, la mer est à une température très basse et la salinité est très importante. Les eaux plongent le long de l'escarpement continental en direction des grands fonds et dans un flux de nord, la masse d'eaux froides remonte au-delà de l'équateur, entraînant les ressources nutritives.
En effet, cet océan est la plus importante réserve en matières nutritives du monde. La forte présence dans ces eaux de krill, ces créatures minuscules qui ressemblent à des crevettes, est due au fait qu'ils se nourrissent d'algues qui poussent en hiver sur la glace de mer.
La
disponibilité de ces ressources alimentaires est fortement marquée par la
saisonnalité. En été, la nourriture est foisonnante et facile d'accès.
Mais cette période ne dure seulement que quatre mois. En hiver, l'abondance
est minimale et l'accès limité. Précisons que la mer est alors recouverte
par une banquise de plusieurs mètres d'épaisseur, et cela jusqu'à plusieurs
centaines de kilomètres des côtes, ce qui rend pratiquement inaccessibles toute
ressource alimentaire.
Rajoutons que l'océan est aussi peuplé de nombreux prédateurs qui peuvent s'attaquer aux manchots, comme les orques ou les phoques léopards de mer.
Sur la banquise, tout être vivant est forcement soumis aux vents. "Les blizzards y sont fréquents, dépassant parfois 250 km/h. Chargés de neige et de particules de glace, ils provoquent une déperdition calorifique considérable, équivalente à une ambiance calme d'environ –180 °C ! Un être humain sans protection ne survit pas plus d'une ou deux minutes à de telles conditions." [Science et Avenir – Hors Série n°129 – Janvier 2002]
L'un des traits dominants du climat de la frange côtière réside dans les épisodes de vent catabatique et de blizzard qui se manifestent soudainement et avec une violence inouïe. Les vents catabatiques (du grec cata qui veut dire vers le bas), propres aux régions polaires, sont le résultat d'airs froids proches de la surface et descendant par gravité de la calotte glacée du continent vers les côtes. Ces vents provoquent de véritables tempêtes, comme s’il passait deux tonnes dans une fenêtre d’un mètre carré. De telles conditions, qui peuvent persister plusieurs jours et s'arrêter brutalement, se superposent au régime dominant de sud-est et soulèvent la neige en la transportant jusqu'en mer (phénomène de blizzard).
La durée d'insolation sur le littoral est assez forte (environ 2000 heures) et entraîne la rareté du brouillard et des orages. En effet, les perturbations arrivant de l'océan et qui touchent la côte donnent presque toujours des précipitations sous forme solide. Et sur le continent Antarctique, c'est encore pire. L'accumulation annuelle moyenne de neige est inférieure à l'équivalent de 50 mm d'eau. Cette quantité est comparable à celle que reçoit le Sahara!
Les températures demeurent en permanence très froides en raison de la couverture neigeuse qui renvoie en moyenne 80% des radiations solaires (contre 35% pour les terres privées de neige). Les moyennes sur le continent sont aux alentours de -30°C durant l'été austral et atteignent les -60 à -70°C au cours de la longue nuit polaire où le ciel clair favorise le refroidissement intense de l'air au contact de la surface glacée du continent. Le climat de la côte est par contre très différent car il s'agit d'un climat polaire océanique. La présence de la mer tempère en effet la rigueur des températures qui, en moyenne, s'échelonnent de -1°C en janvier à -18°C en août avec des extrêmes absolus de +9,1°C et -37,5°C.
L'année comprend, outre les trois mois d'été (de décembre à février) et deux brèves intersaisons (l'automne et le printemps), une période hivernale s'étendant d'avril à mi-octobre où les températures demeurent assez stables.
|
Janv |
Fév |
Mars |
Avril |
Mai |
Juin |
Juil |
Août |
Sept |
Oct |
Nov |
Déc |
Année |
Température
moyenne |
-0,7 |
-4,2 |
-8,8 |
-13,2 |
-14,8 |
-15,9 |
-16,2 |
-16,7 |
-15,5 |
-13,3 |
-7 |
-1,8 |
-10,7 |
Température
mini absolue |
-10,5 |
-15,5 |
-23,3 |
-29,3 |
-32,3 |
-33,4 |
-35,7 |
-37,5 |
-36,8 |
-31,5 |
-22,4 |
-12,8 |
-37,5 |
Température
maxi absolue |
9,1 |
5,3 |
3,1 |
1,1 |
2,6 |
1,1 |
3,2 |
0,4 |
0,8 |
0,2 |
5,5 |
8,1 |
9,1 |
Insolation
mensuelle (en h) |
287,7 |
207 |
169,3 |
110,7 |
46,9 |
10 |
21,5 |
74,7 |
142,4 |
264,3 |
324,6 |
359,7 |
2018,8 |
Nombre
de jours de neige |
8 |
8 |
9 |
8 |
8 |
8 |
11 |
11 |
9 |
7 |
6 |
7 |
100 |
Vent
maximum en km/h |
230 |
245 |
245 |
252 |
248 |
324 |
230 |
259 |
295 |
263 |
252 |
245 |
324 |
Jours
de vent >100 km/h |
7 |
11 |
13 |
13 |
13 |
13 |
12 |
14 |
14 |
11 |
9 |
9 |
139 |
Fig. 6 – Normales climatiques dans une zone côtière (Terre Adélie - période 1961-1992).
Si les manchots ont des ancêtres volant, peut-être communs avec ceux des albatros ou des pétrels, ils font parties de l'ordre des Sphénisciformes, seul ordre d'oiseaux entièrement spécialisé à un mode de vie aquatique. Ces oiseaux marins représentent la biomasse animale la plus importante de la zone australe, plus que le krill et les baleines. Il existe dix huits espèces de manchots dans l'hémisphère sud, mais seulement deux sont polaires: les empereurs et les Adélie. On pourrait alors croire ces deux espèces très similaires mais il n'en est rien!
On qualifie souvent ce manchot d'animal des paradoxes
et des records. En effet, les caractéristiques de son espèce ne le prédispose
pas à vivre dans son milieu.
Tout d'abord sa taille, puisqu'il s'agit de
la plus grande espèce des manchots. De ce fait, cela induit une longue période
de reproduction, car le poussin d'un grand oiseau ne peut que croître
lentement.
Si leurs pattes sont puissantes et munies de fortes griffes, elles restent de petite taille, ce qui rend les déplacements sur le sol très lent (3 km/h ou 6 à 8 en "toboganning"). On s'aperçoit donc que le manchot empereur est peu agile au sol, où il se tient en position verticale. Les colonies ne peuvent donc évoluer que sur des espaces plans. Le relief relativement accidenté des morceaux de terres émergeants de la glace leur en interdit donc quasiment l'accès. Seul endroit suffisamment plan durant de longue période, la banquise peut les accueillir en hiver.
Comme les autres oiseaux, le manchot est un
animal homéotherme (à sang chaud). Son œuf (puis son poussin) doit
rester suffisamment isolé du froid. Chaque couple ne pond qu'un seul oeuf par
an et la mortalité des jeunes peut être importante, de 15 à 98 % selon les
années. Les populations de manchots empereurs se développent donc lentement et
la population mondiale est plutôt sensible aux perturbations extérieures
(climat, stress). Si le manchot est piscivore, c'est avant tout un oiseau qui a
donc des ailes et des plumes, une morphologie pas vraiment idéale pour évoluer
dans l'eau.
Un point pourrait paraître secondaire, mais il se révèle pourtant essentiel: il n'y a pas de différences visibles entre les individus, ni même entre un male et une femelle.
Toutes ses caractéristiques sont plus amplement
détaillées dans le tableau suivant:
Nom (genre, espèce) |
Aptenodytes forsteri |
Famille |
Sphéniscidés |
Ordre |
Sphénisciformes |
Classe |
Oiseaux |
Taille |
de 1 m à 1,30 m (femelle
un peu plus petite que le mâle) |
Poids avant le jeûne
hivernal (vers mars) |
de 35 kg à 40 kg pour les
mâles ; de 28 à 32 kg pour les
femelles |
Répartition |
42 colonies de manchots
empereurs inventoriés en Antarctique |
Habitat |
Banquise côtière
(reproduction) ; océan Antarctique (alimentation) |
Régime alimentaire |
Krill, céphalopodes, crustacés,
poissons ("myctophidés", petits et très gras, qui vivent dans les
eaux froides). Ils chassent aussi parfois des calmars. |
Structure sociale |
Couples regroupés en
colonies de plusieurs centaines à plusieurs milliers d'individus |
Maturité sexuelle |
Entre 4 et 8 ans pour le
mâle ; 3 et 6 ans pour la femelle |
Saison de reproduction |
Les 8 mois de l'hiver
antarctique, d'avril à novembre |
Durée d'incubation |
De 62 à 65 jours
d'incubation de l'œuf; 150 jours d'élevage du jeune |
Nombre d'œufs |
1 seul (couvé sur les
pattes et sous un repli de peau) |
Poids de l'œuf |
400g à l'éclosion |
Longévité |
Supérieure à 30 ans
(maximum 40 ans) |
Effectifs, tendances |
De 300 000 à 350 000
individus. effectifs stables |
Température du corps |
38°C environ |
Portant le prénom de la femme de Dumont D’Urville, le manchot Adélie est l’espèce de manchot la plus commune en Antarctique. Archétype du manchot dans l'imaginaire collectif, il paraît mieux destiné à l'Antarctique que son cousin le manchot empereur.
En
effet, il est beaucoup plus petit, du coup, sa période de reproduction est plus
courte et peut s'établir durant le court été austral, avec des conditions plus
clémentes. Et en hiver, les manchots Adélie restent en mer libre pour s'y
nourrir et ne rentrent sur le continent qu'au printemps.
Les manchots Adélie se regroupent en colonies qui peuvent compter plusieurs dizaines de milliers d'individus. Mais ils conservent cependant un instinct territorial très prononcé: tout individu approchant à moins de 50 cm d'un nid en est rapidement chassé par ses propriétaires. Si leurs pattes restent de petite taille, leurs déplacements sur le sol sont plus rapides et leur petite taille accroît leur agilité au sol, où ils se tiennent en position verticale. Ils peuvent donc affronter des reliefs plus accidentés. Les manchots Adélie s’affairent à transporter de petits cailloux souvent collectés au fond de l'eau, qui une fois empilés constitueront le nid ou amélioreront celui construit l'année passée, sur les portions de terres émergeantes de la glace.
Si les manchots Adélie ne sont pas plus "reconnaissables" que les empereurs, leur fidélité est basée sur la reconnaissance du nid : 80 % des couples se reforment d'une année sur l'autre.
La femelle pond deux oeufs, et l'incubation puis l'élevage des poussins sont assurés en alternance par les deux partenaires. Le froid est moins difficile à supporter car les températures en été sont clémentes et les trajets alimentaires plus courts, la mer alors délivrée de la banquise, se trouvant à quelques dizaines de mètres du nid.
Si le manchot Adélie se nourrit essentiellement de krill, il le chasse à faible profondeur (moins de 50 m) avec des plongées records à -175 m.
Mais contrairement au manchot empereur, les manchots Adélie ont plus de risques de se faire attraper par les prédateurs. La mortalité des jeunes avant l'émancipation est de 45% à 70%. Les skuas et autres pétrels géants se régalent des œufs, en guettant l'inattention des parents pour leur en voler un. En mer, les adultes et de nombreux jeunes sont également victimes des léopards de mer et des orques.
Toutes ses caractéristiques sont plus amplement
détaillées dans le tableau suivant:
Nom (genre, espèce) |
pygocelis Adéliae |
Famille |
Sphéniscidés |
Ordre |
Sphénisciformes |
Classe |
Oiseaux |
Taille |
De 45 à 70 cm |
Poids |
Environ 5,5 kg |
Répartition |
Des centaines de colonies
de manchots sur les côtes |
Habitat |
Antarctique et sud des
îles Shetland, Orcades et Sandwich |
Régime alimentaire |
Krill, céphalopodes,
crustacés, petits poissons |
Structure sociale |
Couples regroupés en
colonies de plusieurs dizaines à plusieurs centaines d'individus |
Saison de reproduction |
Les 4 mois de l'été
antarctique, d'octobre à janvier |
Durée d'incubation |
35 jours d'incubation de
l'œuf; 20 à 25 jours d'élevage du jeune |
Nombre d'œufs |
2 (couvés sur des tas de
petits cailloux, le sol étant couvert de guano et de cadavres) |
Longévité |
Environ 10 ans |
Comme tous les êtres vivants, les manchots doivent réussir à accomplir trois fonctions vitales pour perpétuer l'espèce, en premier lieu la nutrition, mais aussi la communication et la reproduction.
En antarctique, l'essentiel des ressources alimentaires se trouve dans l'océan. C'est donc dans le milieu aquatique que les manchots pourront trouver leur nourriture. En effet, à terre, la flore presque inexistante condamne les manchots à jeûner, qui ne peuvent alors que se désaltérer avec de la neige. Comme nous l'avons vu précédemment, l'océan Antarctique impose des conditions de vie extrêmement difficiles. On peut alors se demander comment les manchots, qui sont avant tout des oiseaux, peuvent assurer cette première fonction décisive qu'est l'alimentation?
Si l'on tient compte de la morphologie des manchots, les ressources qu'offre l'océan Austral se déclinent sous la forme de plancton, krill, céphalopodes (calmars) et petits poissons.
Dans
ces eaux froides, les algues arrivent tout de même à pousser sous la glace.
Elles sont mangées par de minuscules animaux marins, le plancton. A la base de
la chaîne alimentaire, ce plancton, qui se développe en été, alimente les
poissons, les calmars et le krill. Ce dernier est une sorte de petite crevette
mesurant environ 4 cm. de long. S'il est la source principale de nourriture des
manchots, ce petit crustacé n'est rien d'autre que le maillon essentiel et
central des réseaux alimentaires de l'océan Austral; en effet, cinq espèces de
baleines, trois espèces de phoques et la plupart des manchots, une myriade
d'oiseaux, bon nombre de poissons et de calmars s'en nourrissent
principalement. C'est dire le rôle primordial que joue cette crevette dans
l'équilibre de l'écosystème marin antarctique. Le krill se déplace en groupe en
formant d'énormes bancs de plusieurs centaines de km² et de quelques millions
de tonnes.
Etre un prédateur marin n'est pas donné à tout le monde. En effet, de nombreuses facultés sont nécessaires pour évoluer dans ce milieu "hostile" et surtout pour capturer suffisamment de proie pour s'alimenter.
En premier lieu, il faut s'adapter aux caractéristiques physiques du milieu aquatique. Si cela peut paraître assez simple, il en va autrement quand il s'agit d'acquérir suffisamment de vitesse et d'agilité dans l'eau pour capturer la nourriture. Le krill peut être réparti sur de grandes distances et en profondeur, mais surtout il faut posséder une "arme" pour s'en saisir tout en nageant. Par ailleurs, l'océan compte des mammifères qui peuvent se révéler également des prédateurs pour les manchots. L'accostage sur la banquise n'est pas aisé non plus.
En somme, les manchots doivent non seulement pouvoir survivre dans ce milieu aquatique, mais surtout devenir d'excellents nageurs, rapides, agiles, devant résister à l'anoxie lors de plongées profondes et longues, pouvant capturer leurs proies et déjouer les pièges d'autres prédateurs.
D'autres difficultés peuvent s'ajouter pour le manchot empereur du fait de l'éloignement entre les colonies et les zones d'eau libre en hiver, mais ceci est étroitement lié à son mode de reproduction que nous verrons plus amplement par la suite.
Les manchots sont de l'ordre des "Sphénisciformes", ce qui signifie "en forme de coin" par allusion à la forme pointue de leurs ailerons. Il s'agit du seul ordre d'oiseaux dans lequel toutes les espèces se sont entièrement spécialisées à un mode de vie aquatique. En effet, leur adaptation au milieu aquatique est si poussée qu'ils ont perdu la capacité de voler. Les manchots empereurs sont même du genre "Aptenodytes" qui signifie "plongeur sans ailes". Cette évolution n'est pas étonnante car ils passent plus de la moitié de leur vie en mer.
Les ailes des manchots se sont donc
réduites et ont acquis une rigidité analogue à celle des ailerons des
cétacés, par disparition de la plupart des articulations et par aplatissement
des os. Les ailerons comportent chacune un humérus, un radius et un cubitus et
une "main" comprenant carpe, métacarpe et doigt. Ils ne représentent
que 3,5 % de la surface d'aile nécessaire pour voler.
Le plumage particulièrement serré est constitué
de nombreuses plumes courtes et rigides assurant environ 80% de l'isolation et
une bonne pénétration dans l'eau. Le tout est imperméabilisé par une huile
produite par la glande située près de la queue, huile qu'ils se répartissent
sur le corps avec leur bec. Seul inconvénient, pendant la mue qui peut durer
plusieurs semaines, le manchot ne peut pas pénétrer dans l'eau pour se nourrir
(d'où l'importance du jeûne comme nous verrons plus loin).
La forme fuselée et rebondie du corps est très hydrodynamique et limite la surface corporelle. Les extrémités du corps disposent de systèmes physiologiques de préservation de la chaleur. Une épaisse couche de graisse située juste sous la peau assure le reste de l'isolation.
Ils arrivent donc à se déplacer très rapidement dans le milieu aquatique (jusqu'à 40 km/h pour les manchots empereur). On a littéralement l'impression qu'ils « volent » dans l'eau: ils utilisent leurs ailes en forme de nageoires pour se propulser, tandis que leurs pattes palmées et repoussées vers l'arrière du corps, donnent la direction, comme la dérive d'un avion.
Si les manchots sont plutôt maladroits sur terre, ils sont parfaitement à l'aise dans l'eau. Les longues distances ne leur font pas peur car en « tanguant » à la surface, c'est-à-dire en plongeant et ressortant alternativement, à la manière des dauphins, ils peuvent économiser leur énergie (l'air étant plus facile à traverser que l'eau).
Les manchots doivent parfois plonger très profondément pour chercher de la nourriture. Si en moyenne les manchots empereur restent vingt minutes à 250 mètres de profondeur, une femelle a déjà été enregistrée en plongée à 534 mètres! Les manchots Adélie quant à eux plongent moins profondément: de -70 à -170 m en moyenne , pour une durée de une à trois minutes. A cette profondeur, la pression tuerait bien d'autres pêcheurs, oiseaux ou mammifères. Même s'ils n'y restent que peu de temps (ils doivent remonter pour respirer), on n'a toujours pas compris comment ils évitaient le « mal des caissons », malaise causé par la libération d'azote gazeux dans le sang lors de la remontée.
Le
manchot chasse sous l'eau et à vue. Lorsqu'il a sélectionné sa proie dans un
banc, il la poursuit grâce à sa vitesse et son agilité et s'en approche
suffisamment pour pouvoir l'attraper dans son bec. Poissons et calmars sont
très glissants, et bien que le bec du manchot soit fort et acéré, cela ne
suffit pas. C'est pourquoi la langue du manchot est couverte de petites
excroissances râpeuses (piquants cornés) qui l'aident à saisir le poisson. Le
manchot peut alors dévorer sa proie sous l'eau ou à la surface. Mais il ne
l'avale pas toujours en entier. Il la stocke parfois dans sa « gave »jabot,
sorte de poche entre la bouche et l'estomac, afin de l'apporter à ses poussins.
Si peu de prédateurs naturels s'attaquent aux
manchots empereurs adultes, qui nagent seul ou en petits groupes, les individus
les moins expérimentés et surtout les manchots Adélie sont chassés par des
phoques léopard des mers ou des orques. Ainsi, ces derniers attendent d'être au
moins une bonne douzaine avant d'entrer dans l'eau. Ils scrutent alors
attentivement les vagues, et si l'endroit leur paraît sûr, ils « font un plat »
sur l'eau, puis s'enfoncent sous les vagues. C'est aussi la technique qu'ils
utilisent pour échapper aux prédateurs : en espérant que leurs bonds successifs
vont perturber l'attaquant. Ils accélèrent alors leur course sous la surface de
l'eau et se catapultent à des hauteurs allant jusqu'à 2 mètres!
Les manchots qui ont accès à des plages de sable n'ont pas de problème, mais il est beaucoup plus difficile d'accoster sur une banquise ou des rivages rocheux. Pour y parvenir, ils accélèrent leur vitesse sous l'eau puis giclent hors de la mer comme des fusées parfois à 3 mètres au-dessus de la surface.
Finalement, si le manchot est sans aucun doute possible l'oiseau le mieux adapté au milieu aquatique pour trouver son alimentation, il ne peut y vivre en permanence. Il est évident que sa reproduction dans l'eau est impossible, mais on s'aperçoit aussi que la communication sur la terre ferme entre les individus n'est pas évidente non plus.
Les relations entre individus d'une même espèce sont nécessaires dans bien des domaines. S'il est certain qu'un oiseau isolé ne peut pas se reproduire pour perpétuer son espèce, il peut tout de même survivre un moment en assurant son propre développement. Mais dans le cas précis des manchots, quasiment toutes les fonctions de la vie sont étroitement liées aux relations avec leurs congénères.
Dans les conditions extrêmes de
l'Antarctique, la vie sociale d'une espèce comme les manchots doit être
parfaitement organisée.
Notons que si leurs pattes sont palmées, elles servent peu à la nage. Cependant, elles sont puissantes et munies de petites écailles de peau et de fortes griffes pour assurer une bonne prise sur la glace. Les manchots se déplacent donc le plus souvent en position verticale, bien campés sur leurs fortes pattes, avec une démarche balancée, ailerons écartés, même si quelquefois, ils se mettent à plat ventre sur la neige pour glisser rapidement sans trop d'effort. Ce mode de déplacement favorise donc les "colonnes" de manchots sur la banquise, qui leur permet de suivre la même direction car les repères sont rares sur la banquise. Lors de la migration des manchots empereurs vers les colonies de reproduction, il n'est pas rare d'apercevoir des files indiennes longues de plusieurs milliers d'individus.
Pour les questions d'alimentation, les manchots s'entendent relativement facilement pour poursuivre les mêmes objectifs de chasse ou de protection contre les prédateurs. Si dans le milieu aquatique, le comportement est globalement identique pour tous les manchots, une fois de retour sur la "terre ferme", on distingue nettement les différences entre les manchots Adélie et empereurs. En effet, une fois par an, ils se réunissent pour se reproduire formant alors des colonies dans le but de se tenir chaud et d'éviter les prédateurs (de poussins essentiellement).
Le manchot Adélie pour compenser sa petite taille, agit dans l'eau beaucoup plus en groupe que son cousin le manchot empereur (comme nous l'avons vu plus haut, les manchots Adélie se regroupent avant de plonger et évoluent ensuite regroupés pour échapper aux prédateurs). En outre, quand les adultes reviennent de la mer avec du krill, ils font longtemps courir leur progéniture avant de leur régurgiter la nourriture afin de repérer les poussins les plus forts.
Par contre, la notion de territoire est très
importante pour les manchots Adélie. Quand deux manchots se sont appropriés un
territoire, ils construisent une sorte de nid, en utilisant ce qui est à leur
portée, ou venant de l'océan. Les manchots adélie utilisent des petits
cailloux, mais il n'y en a pas beaucoup en Antarctique. Il est plus facile d'en
dérober à ses voisins que d'en chercher. Ceci provoque évidemment de nombreux
conflits et les nids sont donc espacés d'une bonne portée de bec! Comme mâles
et femelles couvent chacun leur tour, cette agressivité protège également le
poussin contre les prédateurs (skuas et pétrels géants).
La période de reproduction du manchot Adélie s'étalant sur les mois d'été, chaque individu peut aisément résister au froid ou aux éventuelles tempêtes de neige en se couchant dans la neige et en ébouriffant leurs plumes pour tenir les poussins au chaud.
Bien qu'en mer, le manchot empereur nage seul ou en petits groupes pour trouver sa nourriture, à "terre" il rejoint d'immenses colonies de plusieurs milliers d'individus sur la banquise pour la reproduction. Comme nous le verrons plus loin, les caractéristiques du milieu et de l'espèce l'oblige à se reproduire durant le long hiver, lui imposant des contraintes importantes au niveau du territoire et des conditions climatiques.
En fait, seul la banquise lui fournit un lieu de reproduction suffisamment plat et adapté à sa corpulence. Il lui est alors impossible de définir les limites d'un réel territoire, le contraignant à s'entendre avec les autres individus. De plus, si le manchot empereur veut pouvoir résister au froid terrible et aux nombreuses tempêtes, il ne peut qu'adopter un comportement très sociable et peu agressif. La solution la plus originale et sans nul doute la plus inattendue pour un oiseau est la formation d'un regroupement en forme de tortue.
La« tortue », dont le nom est inspiré de la
formation adoptée par les légionnaires romains, est un regroupement de
plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d'individus, disposés en rangs
concentriques, et dont la densité peut atteindre dix individus par mètre carré.
Ce système de thermorégulation sociale est tout à fait caractéristique.
Bien que les manchots en tortue passent l'essentiel de leur temps à dormir, la formation n'est pas totalement statique mais se déplace lentement sous l'effet du vent, surtout lors des blizzards. On considère que les individus situés sur la périphérie de la tortue, du côté exposé au vent, la longent pour aller se mettre à l'abri du côté opposé. Les individus du second rang, se trouvant à leur tour exposés, vont faire de même, et ainsi de suite. La tortue se décale ainsi peu à peu dans le sens du vent. En vingt quatre heures de blizzard, une tortue peut « dériver » sur la banquise sur une distance de cent à deux cents mètres.
Parfois, une tortue se disloque soudain après une bousculade, mais ce n'est en aucun cas du à l'accumulation d'agressivité liée à la promiscuité. En effet, les études récentes menées par Yvon Le Maho (responsable du Centre d'Ecologie et Physiologie Energétiques de Strasbourg) ont apporté une réponse plutôt surprenante. Alors que la température extérieure à la "tortue" avoisine les -40°C et le vent les 300 km/h, on a déjà relevé au cœur du groupe des températures allant jusqu'à +30°C. Ce qui finit par devenir trop élevé pour ces oiseaux mal adaptés à la lutte contre la chaleur!
Mais un autre enjeu déterminant de la communication existe chez les manchots. Il s'agit de repérer de façon certaine un individu recherché, notamment dans les phases décisives de la reproduction.
Effectivement, comme la plupart des oiseaux marins, les manchots sont incapables de se distinguer visuellement les uns des autres.
S'il est admis que pour les manchots Adélie, on peut parler de repère topographique plus ou moins important, par rapport à la situation du nid de cailloux, le moyen principal de reconnaissance chez tous les manchots est vocal. Les études récentes, notamment de Pierre Jouventin (directeur de recherche au CNRS – Spécialiste de ''l'écologie comportementale''), ont distingué trois types de signaux sonores chez les manchots:
Ø les cris de contact, pour se retrouver entre eux,
Ø les cris agressifs, notamment en cas d'agression du nid,
Ø les cris de parades, des chants plus exactement.
Ces derniers sont beaucoup plus complexes parce qu'il y a dans le même chant, les informations d'espèce, d'individu et de sexe. Ils ont une sorte de signature vocale unique, un découpage en syllabes de son chant haché, utilisée comme une sorte de code-barre pour la reconnaissance par les manchots empereurs. Effectivement, sans cet unique repère sonore, comment pourraient-ils se reconnaître parmi des milliers d'individus formant la colonie? De plus, ces oiseaux possèdent deux sources sonores (à la différence des humains) et le décalage entre ces deux voix constitue un code complémentaire. Nous en percevons seulement une chez beaucoup d'oiseaux chanteurs, ce qui nous paraît harmonieux, mais lorsque ces deux voix sont décalées, comme chez le manchot empereur, le chant paraît éraillé.
Mais le plus étonnant, c'est qu'il suffit de deux dixièmes de seconde au partenaire ou au poussin pour qu'il l'identifie. Ce qui est vraiment tout petit, on a du mal nous-mêmes à être sûr que le cri est émis. Ces sons hachés et répétitifs sont facilement localisables et identifiables par les manchots, qui entendent trois fois plus "vite" que l'homme.
Si
le manchot empereur arrive à reconnaître un partenaire qui chante dans un bruit
ambiant pouvant être jusqu'à 6 dB plus fort, il n'entend pas à plus de 10-12
mètres. En conséquence, le manchot empereur serait contraint de se déplacer
continuellement au sein de la colonie pour ne pas rater le chant recherché.
Il y a donc une sorte de règle de politesse, qui permet de ménager un espace silencieux autour d'eux: l'importance de ces signaux sonores est telle que, pour ne pas les brouiller, un manchot empereur attend toujours que son voisin (dans un rayon de 7 m) se soit tût avant d'entamer son propre chant. C'est l'énorme contrainte du froid qui a imposé cette adaptation. Pour la surmonter, le seul moyen était de rester les uns contre les autres, ce qui interdit tout espace «privé».
Ce qui explique également le déplacement des couples dans la même démarche. En effet, une fois le couple formé, pour éviter de se perdre sans pour autant chanter continuellement au sein de la colonie, le mâle et la femelle marchent collés en se dandinant du même côté.
En définitive, les phases les plus délicates de la communication chez le manchot ont pour but la reproduction, qui est comme nous le voir la fonction la plus délicate à accomplir dans des conditions extrêmes.
Les modes de reproduction des manchots Adélie et des
manchots empereurs sont tout à fait différents. Pour faire face aux conditions
climatiques, certains espèces ont privilégié un cycle reproducteur court
pouvant se dérouler pendant la période estivale. Ce cycle court est tout à fait
représentatif de la plupart des espèces de manchot, et c'est donc le cas du
manchot Adélie.
En revanche, de par sa taille, le manchot empereur
est obligé d'avoir un cycle de reproduction beaucoup plus long que la durée de
l'été austral, ce qui évidemment amène beaucoup plus de contraintes liées à
l'environnement.
Les manchots se reproduisent en immenses
colonies qui peuvent atteindre des milliers d'individus. En octobre, les
manchots adélie quittent les glaces flottantes de l'océan austral où ils ont
passé l'hiver. Ils regagnent le continent encore entouré d'une banquise parfois
large de plusieurs dizaines de kilomètres et se rassemblent en une colonie de
plusieurs centaines ou milliers d'animaux. Les femelles arrivent après les
mâles. Elles retrouvent la plupart du temps leur conjoint de l'année précédente
à l'emplacement de leur ancien nid, car les manchots Adélie conservent le même
site d'année en année. Seuls quelques rochers sur la côte leur offrent des
sites de nidification libres de glace.
Cette période est capitale pour la réussite de la reproduction. En effet, pour faire face à la durée de la phase "accouplement-ponte-incubation", la femelle mais surtout le mâle doivent constituer des réserves importantes leur permettant une longue période de jeûne car les ressources alimentaires (en eaux libres) sont très éloignées des colonies. Le choix du partenaire et la date d'arrivée au nid sont capitales également car l'été austral étant court, le cycle reproducteur ne doit pas prendre de retard.
Après s'être accouplés, dans la première
quinzaine de novembre, la femelle pond deux œufs qu'elle dépose sur le nid de
pierres. Puis elle retourne s'alimenter en mer, après 17 à 24 jours de jeûne et
confie les oeufs au mâle qui les couve pendant 2 semaines. A la mi-décembre,
les poussins naissent après 35 jours d'incubation. Ils sont protégés du froid
dans la poche incubatrice des parents et régulièrement alimentés par la mère et
le père. Cette période est fortement agitée par les attaques incessantes des
prédateurs se nourrissant d'œufs et de poussins. Le manchot Adélie parent reste
vigilant à tout instant et grâce au test de la poursuite avant le nourrissage,
ils commencent à privilégier le poussin le plus développé, qui aura donc plus
de chance d'atteindre l'âge adulte.
Fin décembre, début janvier, lorsque les poussins sont âgés de 20 à 25 jours, leurs parents les laissent seuls à la colonie pour se ravitailler en mer. Ils reviennent régulièrement alimenter leurs petits qui, en l'absence des adultes, se sont organisés en crèche pour lutter contre le froid.
Enfin, en février, les jeunes manchots qui ont été abondamment et régulièrement alimentés, ont terminé leur croissance. Les parents les laissent alors à leur propre destin et ils n'ont plus qu'à attendre la fin de leur mue pour partir à leur tour en mer.
En définitive, le bon déroulement de la reproduction des manchots Adélie est surtout lié à la période estivale qui leur est très favorable car les températures sont clémentes et la nourriture assez abondante. Les seules menaces sont les risques de longues périodes au nid, le manque d'expérience des parents ou les prédateurs de poussins qui sont nombreux. Le développement des facultés de jeûne, de résistance au froid et d'agressivité permettent aujourd'hui d'obtenir de très bon taux de réussite. La meilleure illustration de cette adaptation est le peu de sensibilité que cette espèce présente par rapport aux modifications de l'environnement extérieur (implantation de bases humaines, modification des zones de banquises au fil des années…)
Cette constatation est loin d'être la même pour le manchot empereur qui paradoxalement, se reproduit durant la période la plus difficile en Antarctique: l'hiver!
Le manchot empereur mesurant plus d'un mètre de haut, il est impossible que sa reproduction soit contractée sur les trois à quatre mois de l'été austral, quand la côte est libre de glace, car le poussin d'un grand oiseau ne peut que croître lentement. Il est donc impératif que le cycle de reproduction se déroule pendant le long hiver, et encore y avait-il nécessité de le contracter de quelques semaines pour que la croissance du poussin coïncide avec la présence de la banquise. Or le manchot royal, proche de l'empereur de par sa morphologie, boucle son cycle en quatorze mois! On peut donc constater une relative "miniaturisation" du juvénile, conséquence de raccourcissement de la durée du cycle et première adaptation originale à la reproduction sur la banquise.
Le fait de se reproduire au-dessus de la mer, mais séparés des proies qui sont la nourriture des manchots empereurs par un à deux mètres de glace, a entraîné des voyages alimentaires longs car, pour accéder à des flaques d'eau libre, il faut parcourir plusieurs dizaines de kilomètres sur la banquise. Cette perte de temps et d'énergie a conduit à une spécialisation des sexes et à la mise en place de relais auprès de l'œuf puis du poussin.
A la fin mars, les manchots empereur quittent
la mer. Ils se regroupent en colonies de plusieurs centaines à plusieurs
milliers d'individus et parcourent, en se dandinant les uns derrière les
autres, des dizaines de kilomètres pour rejoindre leur site de reproduction.
Pendant cette longue procession de plusieurs jours, ils ne mangent rien et ne
s'arrêtent que pour dormir. Dès leur arrivée, ils se mettent en quête d'un
partenaire. Les manchots empereurs sont peu fidèles d'une année à l'autre,
et pourtant certains couples ont pu se retrouver cinq années de suite, ce qui
ne peut être du hasard dans une colonie de plusieurs milliers de couples. Ce
fait laisse supposer que les oiseaux cherchent à retrouver le conjoint de
l'année précédente. Mais, n'ayant pas de lieu de rendez-vous comme les manchots
Adélie qui possèdent un nid (avec une fidélité de l'ordre de 80 %), seulement
14,5% parviennent à se retrouver chaque année. Et hélas, on voit souvent des
échecs de reproduction chez les jeunes couples qui se connaissent mal. Or, chez
les manchots empereurs, plus encore que pour d'autres espèces, le couple est
indispensable, puisque dans leur cas, la source de nourriture est très
éloignée, ce qui les oblige à accomplir de longs voyages alimentaires. Si ce
système ne fonctionne pas, c'est toute la survie de l'espèce qui est menacée.
D'où l'intérêt de la fidélité!
Pendant un mois, les couples vont se former et se livrer à des parades nuptiales où chaque partenaire accompagne ses chants de mouvements très élaborés du corps. En effet, les manchots empereur n'ayant pas de repère sur la banquise, ils ne marquent pas de barrière territoriale, et les deux partenaires doivent être capables de se reconnaître au sein de la colonie et de se retrouver en cas de séparation. La copulation a lieu en avril.
Dix à quinze jours après, femelle pond un oeuf d'environ 400 g gros comme un pamplemousse, mais de la forme d'une poire. Elle protège du froid entre ses pattes, sous un repli de peau de son abdomen qui le maintient au chaud : c'est sans doute le berceau le plus insolite du monde ! Presque aussitôt, épuisée par la ponte, elle doit alors confier l'œuf au mâle et retourner à la mer libre pour reconstituer ses réserves donc après quarante jours de jeûne. Cette phase s'avère décisive car si le manchot empereur ne peut pas faire de nid sur la
banquise
gelée, il ne peut pas non plus y laisser l'œuf plus d'une minute, sous peine de
gel! La coordination entre les deux parents est essentielles et c'est souvent
la première raison de la perte d'un futur poussin.
Dès lors, au plus fort de l'hiver austral , quand les températures atteignent régulièrement les -50°C, le mâle assure seul l'incubation de l'œuf pendant plus de deux mois. Il couve donc son oeuf unique sur ses pieds, dans un repli spécial de sa peau où l'œuf demeure à +34°C environ. Il ne peut se permettre d'exposer l'œuf un seul instant, aussi il se promène très précautionneusement avec son précieux fardeau. Les autres manchots pondent deux œufs, chose impossible pour l'empereur qui ne pourrait ni les nourrir, ni les tenir sur ses pattes !
Un adulte peut rester immobile durant des jours, voire des semaines, en attendant que son partenaire vienne le relayer. Les manchots empereurs, animaux homéothermes, c'est-à-dire à température constante et à sang chaud, doivent alors maintenir leur température interne, malgré ces conditions climatiques extrêmes. Ils y parviennent grâce à une alimentation riche en graisses, à une couche de graisse sous-cutanée qui empêche leur chaleur corporelle de s'échapper, mais surtout grâce à un plumage emprisonnant une importante quantité d'air qui agit comme une enveloppe isolante. Le plumage du manchot empereur présente une double structure qui assure 87 % de l'isolation thermique de l'oiseau (contre 13 % seulement pour la couche de graisse sous-cutanée). Les plumes implantées uniformément sur toute la surface du corps sont très rigides et imbriquées comme les tuiles d'un toit. Elles constituent un isolement mécanique contre le vent qui, même violent, ne peut les soulever. A leur base, diverses sortes de duvet assurent l'isolement thermique.
De
ce fait, les échanges thermiques avec l'extérieur se produisent surtout au
niveau des parties anatomiques non couvertes de plumes : pattes, base du bec
parfois, contour de l'œil. Mais l'organisme des manchots régule aussi sa
chaleur en jouant sur deux niveaux de températures internes: le centre du corps
est chaud, tandis que les extrémités sont aussi froides que chez un animal à
sang froid. La température des extrémités est, en effet, régulée par un système
d'échange de calories entre les veines et les artères. Le sang venu du cœur
réchauffe le sang froid provenant des pattes, celui-ci refroidissant le sang
chaud lancé vers les extrémités. En outre, la circulation sanguine dans les
membres peut être réduite quand il fait froid. Grâce à ce réseau, appelé
"réseau admirable", les manchots résistent aux froids les plus vifs.
En revanche, ils tendent à s'échauffer dès qu'ils se trouvent en
"tortue". En cas de nécessité extrême, ils pratiquent une ventilation
pulmonaire qui entraîne, par évaporation, une perte calorique importante et
fait ainsi baisser la température! On voit par le fonctionnement du cycle de
reproduction que l'une des caractéristiques les plus surprenantes des manchots
est cette possibilité de vivre sur ses réserves durant les périodes de jeûne
physiologique. Il s'agit là encore d'un système en rapport avec la
thermorégulation.
Mais ces particularités seules seraient incapables de maintenir une température interne constante. D'autres caractéristiques, anatomiques, physiologiques et comportementales, sont apparues au cours de l'évolution et contribuent à assurer l'homéothermie du manchot. Effectivement, durant cette période, il ne peut se nourrir et doit vivre sur ses réserves de graisse. Après ces quatre mois de jeûne dans le blizzard, il a perdu environ la moitié de son poids. Il aurait perdu beaucoup plus si, comme son proche parent le manchot royal, le couveur s'était tenu au même emplacement et à distance de ses voisins. Mais, la différence réside dans le fait que le manchot empereur, peu agressif, marche sur les talons avec son oeuf sur les pattes et il tolère la promiscuité: pour résister au froid et au vent, les couveurs se serrent les uns contre les autres et forment des "tortues" (comme nous l'avons vu plus haut).
De toute façon, le froid de la banquise lors de la transmission de l'œuf ou la période de jeûne trop éprouvante auront pour conséquence la perte d'environ 30% des œufs pondus!
Après
avoir parcouru de 100 à 200 km sur la mer gelée jusqu'à l'océan austral, la
femelle revient en juillet, et cela coïncide souvent avec l'éclosion, mais si
la tempête retarde le relais d'incubation, le mâle secrète, un peu comme les
pigeons, un « lait » à partir des cellules de l'œsophage, pour éviter au
poussin juste éclos et dépourvu de réserves de succomber d'inanition. Les
partenaires s'étant reconnus grâce à leur chant, le mâle confie l'œuf ou le
poussin à la femelle et part enfin s'alimenter en mer. Elle a rapporté jusqu'à
un kilo de poisson, qu'elle régurgitera sous forme de bouillie dans le bec du
petit. A son départ, le mâle affaibli paie un tribut de mortalité plus
important que l'autre sexe, en particulier face aux prédateurs comme le léopard
de mer. Il en résulte un déséquilibre dans les colonies, les femelles étant
plus nombreuses que les mâles, et à la fin de la période de formation des
couples, on peut voir des groupes de femelles cherchant désespérément des mâles
célibataires, plusieurs femelles répondant au chant d'un mâle…
Quant au poussin, d'abord élevé à l'abri du froid sur les pattes de sa mère puis celles du père, il commence à acquérir une autonomie thermique vers le mois de septembre quand son duvet devient plus épais. Ses parents peuvent alors le laisser de plus en plus longtemps seul pour effectuer des navettes de nourrissage entre la mer et la colonie. Les jeunes manchots , laissés seuls sur la banquise se regroupent en crèche (comme les poussins Adélie) ce qui leur permet de se protéger du froid pendant les périodes de mauvais temps. Fort heureusement, la banquise se casse par endroit, créant des zones de mer libre (appelées polynies), de plus en plus proche.
Au retour des parents, ils chantent devant
ces groupes de poussins. Le poussin concerné sort du groupe et se fait
reconnaître grâce à son chant. Si un autre petit se présente, il sera chassé à
coups de bec! Mais il arrive qu'un poussin soit mort, de froid par exemple. Or
les parents sont programmés pour nourrir. Ils le feront donc au bénéfice d'un
autre jeune qui se présentera... et recevra double ration: celle de ses parents
biologiques et «adoptifs». Parfois, si le jeune a perdu ses parents, il sera
complètement adopté.
La mortalité des poussins s'élève à environ 30% des œufs éclos, ce qui est du, outre le froid, au retour des prédateurs. Les jeunes sont nourris pendant 5 mois. Ils atteignent leur maturité vers 7 ou 8 mois. Fin novembre, au début de l'été austral, les jeunes manchots peuvent quitter la colonie. Une fois leur duvet complètement disparu, le juvénile part avec la banquise, qui dérive. Les parents sont alors libres d'aller chercher de la nourriture dans des zones plus lointaines de l'océan, sans n'avoir plus besoin de revenir à terre. Les manchots empereurs s'éloignent à quelques milliers de kilomètres, en pleine mer, durant trois ou quatre mois.
Ce n'est qu'après une année ou deux que les juvéniles atteindront la taille adulte. Quant à la maturité sexuelle, elle n'arrive pas avant 4 ou 5 ans. Entre-temps, ils restent en mer, sans jamais revenir à terre, pour accumuler les réserves qui leur permettront de se lancer à leur tour dans la reproduction.
Etant donné le taux de réussite d'un couple avoisine les 30 %, sans compter les juvéniles qui mourront avant de pouvoir se reproduire à leur tour, on peut légitimement se poser la question de la viabilité du mode de reproduction du manchot empereur. Et pourtant, l'espèce a réussit à se perpétuer jusqu'à nos jours, bravant fièrement toutes les contraintes de ce long cycle hivernal.
Mais alors, à travers tous ces exemples, quelle est cette solution miracle qui a permit aux manchots de défier les lois de la nature?
On a vu par ce qui précédait les nombreuses adaptations au milieu du manchot, et plus particulièrement du manchot empereur.
Que ce soit dans leur chant ou dans leur silence, les manchots empereurs sont étroitement adaptés à des conditions extrêmes qui, au cours des milliers d'années de leur évolution, ont sélectionné des comportements surprenants, de prime abord mais en fin de compte, très fonctionnels.
On pourrait grouper toutes les contraintes et adaptations par ce schéma de Pierre Jouventin qui semble assez bien résumer la situation:
La stratégie adaptative du manchot résulte en fait, de
multiples interactions et contraintes, d'origine aussi bien externes
qu'internes, qui touchent à la morphologie, à la physiologie, au comportement
et à l'écologie de l'espèce.
Tout ce système nous paraît alors fragile, et la moindre modification d'un élément pourrait remettre en cause tout l'équilibre et donc la survie de l'espèce. En effet, le réchauffement de la planète observé au siècle dernier semble se traduire par une diminution de la surface de glace et de la banquise. Cela pourrait paraître de prime abord une bonne chose pour les manchots car leurs trajets pour se nourrir seraient diminués. Cependant, cela entraîne également une disparition d'algues de glace, dont le krill est lui-même très dépendant. Du coup, la population de krill diminue et cette baisse de gibier pour les manchots est un facteur encore plus important. Et hélas, depuis quelques années, une baisse constante et anormale des effectifs de manchots empereurs et Adélie est constatée.
Espérons que la fabuleuse stratégie adaptative du manchot lui permettra de réagir à temps et de s'adapter aux nouveaux changements de son milieu…
Livres
et magazines:
·
National Geographic France - Février 2002 – Antarctique
– Roff Smith
·
Sciences et Avenir Hors-série n°129 – Janvier
2002 – L'aventure polaire
·
L'oiseau des glaces Le Manchot – 1991– L'encyclopédie
des animaux – Mike Linley
· Le chant du manchot empereur et sa signification adaptative - 1979– Pierre Jouventin, M. Guillot et A. Cornet
Vidéos:
·
Le paradoxe des empereurs - 1987- T. Thomas et
Pierre Jouventin
Ressources
Internet:
·
Centre d'Etudes Biologiques de Chizé: http://www.cebc.cnrs.fr/Fr_taaf/fr_index.html
·
Mission culture scientifique et technique de
l'université Louis Pasteur de Strasbourg: http://suivi-animal.u-strasbg.fr/
·
Adaptation des manchots à la plongée sous-marine
- Thèse vétérinaire réalisée par le Dr LAZARUS: http://www.chez.com/cocovet/these/
·
Les Sphéniscidés – Etude pédagogique par l'IUFM
de Chambery : http://www.chambery.grenoble.iufm.fr/home/sc_polaire/biologie/enseignants/manchot.htm
·
L'océan Austral et le krill – Alain Hubert : http://www.antarctica.org/
Adaptation. Transformation d'un animal en fonction de contraintes externes (son habitat par exemple).
Anoxie. Manque d'oxygène.
Couvée. Des oeufs sur lesquels les parents s'assoient pour les garder au chaud et en sûreté.
Equateur. Ligne imaginaire qui partage la Terre en deux, de latitude 0.
Espèce. Type ou variété d'animal ou de plante.
Evolution. Lent processus de changement d'un animal pendant des millions d'années.
Habitat. L'endroit qui convient le mieux à un animal.
Hémisphère Sud. Moitié du monde qui se trouve au sud de l'Equateur .
Incuber. Couver les oeufs en les couvrant.
Isolant. Couche d'une substance qui protège des changements de température.
Krill. Groupe de crustacés qui ressemblent à des crevettes.
Lard. Couche de graisse sous la peau.
Locomotion. Moyen de se déplacer d'un endroit à un autre.
Marin. Qui vit rn mer .
Plancton. Ensemble des organismes de petite taille en suspension dans l'eau de mer.
Prédateur. Animal qui vit en chassant d'autres animaux.
Proie. Animal qui est chassé par un autre.
Territoire. Terrain qu'un animal considère comme sien, où il se nourrit, se reproduit, et qu'il défend contre les intrus.
La vie en Antarctique s'adapte au changement (carte de l'Antarctique fournie par National Geographic)